la Société TOTAL en la personne de Monsieur Philippe GUILBAUD a répondu à notre interview 4D.
A l'occasion d'un projet pilote 4D, Monsieur GUILBAUD fait le tour en 10 réponses illustrées des apports de cette technologie dans le domaine de l'industrie pétrolière (exploration/production - pétrochimie/marketing) .
Cet article est reproduit intégralement en français. Une version anglaise suivra pour nos amis non francophone.
Quelle est votre définition de la
4D ?
C’est l’association des 3 dimensions spatiales et
du temps. Le terme s’applique, à mon sens, à diverses réalités, évidemment à des
données géographiques, relatives à des objets positionnés dans l’espace à un
instant t, mais aussi à des techniques d’acquisition, de traitement ou d’interprétation
de ces données géographiques et par extension à tous les composants d’un
Système de Gestion de Base de Données : logiciels, architectures informatiques,
procédures, etc.…
Comment avez-vous découvert la
4D ?
Au cours de ma formation d’ingénieur Topographe.
L’une des applications de la topographie concerne par exemple la surveillance
des ouvrages d’art (barrage, tunnel, etc…), on parle alors de métrologie. Le
principe consiste à effectuer des relevés
topographiques très précis et régulièrement, d’en déduire les déformations d’un
relevé à l’autre et de vérifier que ces déformations sont conformes aux
estimations ou à la réglementation.
L’interférométrie est une autre technique
permettant la détection de déformations dans le temps. Elle est par contre
utilisée le plus souvent pour détecter des mouvements de terrain en surface, liés
par exemple à l’exploitation d’une mine ou d’un champ pétrolifère à terre ou à
des phénomènes naturels comme des glissements de terrain très lents ou une
activité volcanique. De plus, l’interférométrie se base sur l’analyse d’images satellite
radar prises à quelques semaines ou mois d’intervalle.
Comment imaginez-vous l’application de
la 4D à votre industrie et en particulier à votre métier ?
A vrai dire, je ne l’imagine pas, les applications
sont déjà réelles et nombreuses. Lorsque j’ai intégré Total, j’ai retrouvé une
application de la métrologie dans le cadre de la surveillance des bacs de
stockage d’hydrocarbure. Les parois de ces bacs sont soumises à de très légères
déformations au cours de leur construction notamment. Plusieurs relevés
topographiques sont effectués au cours de la construction et des différents
tests de remplissage, les déformations sont alors mises en évidence à l’aide de
logiciels spécifiques puis analysées par un spécialiste en génie civil (figure1).
Figure1 : relevé topographique sur un bac de
stockage à l’aide d’un théodolite – rendu 3D des déformations apparues entre 2
relevés.
J’ai découvert depuis au sein de Total d’autres
applications 4D dans d’autres métiers. La géologie ou la géophysique sont aussi
des champs d’applications pour la 4D. Je pense notamment aux acquisitions
sismiques 4D. Une acquisition sismique traditionnelle nous permet d’imager le
sous-sol et déterminer la présence ou non d’hydrocarbures ainsi que leurs
caractéristiques, et ce avant la mise en production. La sismique 4D consiste quant
à elle en une série d’acquisitions sismiques à intervalles réguliers une fois que
l’exploitation des hydrocarbures a débuté. Cela nous permet de suivre l’évolution
du mouvement des fluides (huile, gaz et eau) au sein des couches géologiques et
d’adapter les techniques d’extraction afin d’optimiser la récupération des
réserves (figure 2).
Figure 2 : principe d’une acquisition
sismique en mer – cube 3D de données sismique
Au sein du projet CLOV, j’ai pu côtoyer des spécialistes
en ingénierie offshore qui prennent en compte la 4D pour le dimensionnement des
futures installations en mer : structures flottantes, lignes d’ancrages, canalisations flexibles
reliant le fond et la surface (figure 4). Ces structures seront constamment en
mouvement à cause de la houle notamment, et leur dimensionnement se fait grâce
à des simulateurs qui prennent en compte les conditions océanographiques
extrêmes.
Enfin et surtout, nous avons souhaité pour CLOV
améliorer la planification des opérations offshore et en particulier la
détection des interférences entre rigs de forage et barges d’installation des
structures et canalisations sous-marines. Nous avons pour cela testé différents
logiciels du marché dont Synchro (figure 3).
Figure 3 : intégration des données géographiques
et du planning CLOV dans un projet Synchro
Au final, nous n’avons par retenu
Synchro, ses fonctionnalités ont été très appréciées mais nous avons privilégié
la mise en place d’une interface entre 2 outils déjà largement déployés dans le
Groupe : Primavera et notre Système d’Information Géographique GEOPS.
J’ai bien d’autres exemples en tête, comme le
suivi du littoral soumis à l’érosion, l’évolution de l’occupation du sol à
partir de photos satellites. Le produit final se présente le plus souvent sous
forme de cartes en 2D et dynamique, mais l’altimétrie est toujours prise en
compte dans le traitement et l’analyse des données, il s’agit donc pour moi
pleinement d’applications de la 4D.
Quels sont selon vous les bénéfices de
la 4D pour votre secteur ?
Ils sont multiples. Dans le cadre de la
métrologie, il s’agit de répondre à des obligations réglementaires qui touchent
à la sécurité de nos installations industrielles. La sécurité est un objectif indissociable
de nos activités et la 4D un outil supplémentaire pour y répondre. Au sein du
projet CLOV, la volonté d’anticiper et de minimiser les interférences entre
rigs de forage et barges d’installation, et donc les situations à risques, va
dans ce sens.
Au delà de la sécurité, il s’agit également d’affiner
la connaissance, la compréhension de nos données et des objets s’y rapportant,
ceci afin d’adapter, d’optimiser nos processus, nos techniques, comme en
témoigne l’utilisation de la 4D dans l’exploitation des champs d’hydrocarbures évoquée
plus tôt, ou dans le dimensionnement des structures offshore. La 4D est un
critère, un outil d’aide à la décision devenu très important dans certains de nos processus. En
fait, tout est soumis aux mouvements, aux changements, ce qui occasionne une
nécessité de surveillance. Même ce que l’on considérait comme fixe à jamais il
y peu encore, comme le niveau moyen des mers par exemple, utilisé pour nos
référentiels verticaux, est en fait soumis à la montée des océans, en cause probablement
le réchauffement climatique. A défaut d’impacter nos activités de façon
critique, nous suivons tout de même le phénomène de très près.
Enfin, le bénéfice peut aussi être évidemment d’ordre
financier, c’est surtout vrai pour la planification des opérations offshore
dont les coûts journaliers s’élèvent à plusieurs centaines de milliers de
dollars par supports.
Voyez-vous des obstacles à son
utilisation (maintenant et dans le futur) ?
Oui, malgré le développement de logiciels toujours
plus sophistiqués, c’est une approche qui peut être complexe et qui doit être mise
en place avec de la rigueur afin qu’elle soit pertinente. En particulier, la 4D
nécessite une approche transverse, c'est-à-dire l’implication de 2 métiers,
celui de la cartographie, ou du dessin industrielle et celui de la
planification, dans le cadre de son application sur CLOV par exemple.
Les 2 parties doivent contrôler soigneusement la
qualité de leurs données respectives. De plus, l’association entre les données
géographiques et les données métiers (les tâches d’un planning par exemple) est
loin d’être facile, elle nécessite de faire des choix, donc une très bonne
coopération entre les métiers impactés. Cette transversalité entre métiers
n’est pas toujours facile à mettre en place ou à pérenniser.
Quelle est votre vision de la 4D dans
le futur ?
Une prise en compte accrue voire systématique de
la 4D dans nos activités et des outils plus performants. Je pense que tous nos
métiers travaillant avec des données géographiques ont conscience de
l’importance de suivre, de surveiller l’évolution de ces données dans le temps.
Ce suivi est déjà mise en place dans les domaines les plus importants, c’est le
cas, on la vu précédemment, pour la sécurité, la géophysique ou la
planification, mais il pourrait être systématisé à l’avenir pour l’ensemble de nos données
géographiques sans que cela nécessite un effort trop important. L’autre
évolution concerne les outils qui vont devoir mieux intégrer la 4D. Je pense
que nous privilégierons le développement de module permettant d’interfacer les
différents systèmes d’informations déjà déployés dans le groupe: SAP,
Primavera, SIG, etc., plutôt que la
création d’applications nouvelles et indépendantes.
Est-ce que selon vous la 4D va
durablement impacter les métiers de planificateur et d’ingénieur de bureau
d’étude ?
Il faudrait interviewer mes collègues du planning
mais les côtoyant depuis plusieurs mois, je sais que l’attente est grande. La
gestion des interférences lors des opérations offshore était jusqu’ici effectuée
d’une façon plus ou moins manuelle. Nous avons voulu pour CLOV automatiser
certaines opérations. Le système que nous avons adopté est très apprécié par
nos ingénieurs planning mais le processus devra être amélioré pour les
prochains projets.
La 4D = 3D + le temps : Comment
voyez-vous l’ajout d’autres dimensions (le coût appelé 5D/ l’approvisionnement
6D/ la gestion du cycle de vie 7D…) ?
C’est une étape nécessaire pour répondre à des objectifs
d’optimisation. Là encore, il y a quelques exemples d’application au sein de Total
notamment dans les branches ou filiales « Amont » du raffinage et de
la distribution. Des outils d’optimisation
des chaines logistiques basés sur des solveurs et des algorithmes mathématiques
très complexes ont été étudiés notamment pour l’approvisionnement et la distribution:
optimisation de la « Supply Chain » pour les usines de lubrifiants,
optimisation de la distribution des carburants, du fioul, des zones de
chalandises…
C’était aussi l’un de nos objectifs pour CLOV, à
savoir re-planifier une ou plusieurs activités, après avoir identifié une interférence entre elles, en
prenant en compte les coûts journaliers des supports offshore et certaines caractéristiques
techniques. Nous avons abandonné cet objectif faute de données fiables pour
alimenter un éventuel programme d’optimisation et parce que les variables que
l’on maîtrise réellement sont en fait très limitées. Mais cela reste un
objectif à moyen terme, peut être plus dans le cadre de la préparation et de la
simulation de campagnes offshores que dans leur gestion opérationnel au
quotidien.
Si vous deviez résumer la 4D pour
vous ce serait quoi ? La gestion et l’analyse de l’évolution d’entités à
la fois dans l’espace et dans le temps, bref un peu l’histoire de la vie…
Le Projet
CLOV
Acronyme de 4 champs
d’hydrocarbures : Cravo, Lirio, Orquidea et Violetta, découverts entre 1998 et
2006 et situées dans l’offshore Angolais. Situées par des profondeurs d’eau
variant entre 1000m et 1400m, les futures installations sous marines, opérées
par Total E&P Angola, seront composées de 34 puits producteurs d’huile et
injecteurs d’eau, 8 manifolds qui alimenteront 2 boucles de production dont
l’une sera équipée d’un système de pompes multiphasiques. Ces 2 boucles seront
connectées par l’intermédiaire de 2 tours riser à un FPSO (unité flottante de
production, de traitement et de stockage) d’une capacité de traitement de 160 000
barils par jours. L’huile sera exportée vers des tankers via une bouée de
chargement et le gaz vers l’usine de liquéfaction Angola LNG par un pipeline sous-marin. Comme tous les Projets de
développements « grand fonds », CLOV doit faire face à de nombreux
défis technologiques et humains au cours de 4 phases principales :
l’ingénierie, la construction, l’installation et la mise en production. Pour y
répondre, Total mobilise une équipe multidisciplinaire ayant pour objectif de
contrôler les délais, coûts, qualité et risques liés à ces étapes, et de
veiller au respect d’objectifs élevés en HSE, en développements local et
durable.
La Rédaction
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire